lundi 21 mai 2012

Des prémisses du succès ou de l'infortune

Énorme surprise hier, et bouleversement de mes prévisions, ayant affirmé que Gelfand ne s'imposerait pas une seule fois dans ce match. Et, très sincèrement, le déroulement premier de cette partie ne m'incitait pas aux tremblements nerveux pour l'indien, habituellement si solide depuis quelques années que les six parties précédentes n'avaient pas démenti. Peter Leko et Anatoly Karpov aux commentaires semblaient proprement estomaqués qu'Anand puisse être vaincu "aisément" dans une telle configuration, légèrement inférieure, mais rien de grave. Pourquoi n'a-t-il pas échangé une paire de tours en c2, relâchant la tension ? Jouait-il pour l'emporter, perdant ainsi toute lucidité ? Lui seul le sait. Et ce résultat surréaliste lance un nouveau match, désormais en 6 manches, la première remportée par l'israélien donc. Je ne le crois malgré tout pas capable de tenir. Si tel était le cas, alors le niveau d'Anand aurait clairement faibli, plus encore que je ne le croyais, et certaines rumeurs font état d'une retraite anticipée du roi s'il perdait sa couronne. Pour n'en point devenir fou...

Montpellier l'aura finalement emporté, malgré une ambiance déplorable à l'Abbé Deschamps, les héraultais auront vaincus non sans souffrance, conformément à mes pronostics. Je signe donc un score personnel de 6 sur 10, même si tout le monde s'en fout.
Belles performances de Nice, Ajaccio, et Brest pour se sauver, et c'est finalement Caen qui monte dans l'ascenseur, en espérant le revoir l'an prochain. A mon sens, la sensation principale est corse, je n'aurais jamais imaginé ces derniers capables de l'emporter à Toulouse étant donné le jeu immonde dont nous avons tous fait les frais, ne l'emportant que dans une enceinte tenant davantage du Jardiland que de la pelouse sportive, pour ne pas parler du Vietnam et de l'Indochine.
Comme promis, une réflexion sur les échecs féminins sera fournie ici, avant tout scalpage impromptu félicitons d'abord les demoiselles l'ayant mérité par leurs exploits.

Débutons par Irina Krush, nouvelle championne des Etats-Unis, vainqueur en départage d'Anna Zatonskih. Lors de la première confrontation, elle a proprement puni le jeu aventureux avec net désavantage au temps de sa rivale, prenant un point solide avec les noirs. La phase retour, cependant, fut bien moins claire, Anna pouvant gagner une Tour en un coup intermédiaire (Dxf1+ suivi de Fc2) pour préférer transposer dans une finale supérieure, qu'elle mena à son terme jusqu'à ce qu'elle...rendit la politesse à son adversaire, laquelle s'empara prestement de l'offrande, provoquant la reddition immédiate de sa rivale. Rappelons que ces deux joueuses sont 2450...

Natacha Benmesbah est elle championne de France de parties rapides, étant la seule à mon sens à avoir proposé des échecs de qualité acceptable dans cette optique. Tout au long des retransmissions successives, de nombreuses pièces furent offertes en un ou deux coups, des parties remportées en vingt sans pour autant une démonstration implacable du camp vainqueur...Soyons magnanime, ces prestations n'ont pas été majoritaires, loin de là. Mais ont concerné chacune des joueuses de tête, et pas toujours dans le bon sens...

Ces faits de jeu, que l'on ne saurait généraliser tant l'erreur est humaine et non question de genre, sont toutefois malheureux à l'heure du bref bilan que j'entends dresser, et d'une proposition alternative me semblant, à tout le moins, digne d'être lue. A vous de le confirmer ou l'infirmer, entre tous les posts que j'ai pu rédiger depuis une semaine et la naissance de ce blog, j'attends ici le plus de réactions. Une seule me suffisant, car vous avez tous été bien timides pour le moment...

Déroulons ceci sous forme de débat d'antagonistes. Je serais mon propre avocat, et dépêcherais les arguments classiquement appliqués dans de tels circonstances. Je lance donc. Au nom de quel supériorité ou du moins différenciation peut-on affirmer que la femme et l'homme ne peuvent concourir dans les mêmes compétitions ? Non, cela est inexact, les dénominations des compétitions étant féminins et mixtes, ajoutant à cela des titres exclusivement attribués au beau sexe (Maître féminin, Grand Maître féminin, et même Maître Fide féminin) à un classement inférieur à leurs équivalents masculins. Il s'agit donc bien d'une ascendance affirmée. Pourquoi cet état de fait ?

L'argument habituellement d'usage ici est la motivation des jeunes femmes peu concernées par le jeu. Admettons en premier abord qu'il soit vrai, j'y reviendrais par la suite. En quel honneur devrait-on favoriser le jeu des femmes, davantage que celui des vétérans, des jeunes ou d'autres "minorités sociales" ? Pour conserver la cohérence, il faudrait assurément proposer une rétribution sonnante et trébuchante en faveur de ces catégories. C'est déjà le cas pour les vétérans, mais ces derniers, lorsqu'ils sont capables d'obtenir un prix, ont assurément la passion blanche et noire bien incrustée dans leurs veines. En revanche, les jeunes se voient promettre un voyage à l'étranger pour...jouer un autre tournoi. Hors les championnats féminins ne permettent ni n'empêchent la qualification aux joutes européennes et mondiales. Cela est une profonde injustice à mes yeux, par souci de cohérence, si l'on entend sélectionner par le sexe, du moins faudrait-il ensuite œuvrer par la qualité (non pas la qualité de celui-ci, je vous vois venir...). L'on pourrait accroître l'équivalence aux ethnies...cela s’appellerait racialisme, quand bien même la mesure précédente n'est pas sexiste pour les penseurs de notre temps. Qui pro quo, dites-vous ?

Là n'est pas mon propos principal, bien qu'il ne me paraisse (à tout seigneur tout honneur) pas absurde. Je voudrais ici développer une autre vision malheureusement minoritaire : de telles dispositions ne sont PAS favorables aux joueuses d'échecs. Les échecs féminins tuent les joueuses d'échecs de haut niveau. Explication dès alors.

Judit Polgar, la meilleure joueuse de l'histoire (bien que la jeune Hou Yifan entende briguer cette marche également) n'a jamais participé à un tournoi féminin. JAMAIS. Lors d'interviews réalisées auprès d'elle, il ressort principalement cette idée que l'opposition n'aurait pas eu d'intérêt, qu'elle ne voulait pas limiter celle-ci. C'est une facette du prisme. Il y en a tellement d'autres...

Il est très fréquent d'observer le phénomène suivant : une joueuse évoluant à un bon niveau avant ses 20 ans (2200-2300 minimum, en France Guichard, Milliet principalement, Krush) ne progressera presque plus par la suite. Je considère que cela est dû à l'opulence assurée par les conditions favorisant le status quo au sommet des échecs féminins, celle-ci étant par ailleurs profondément injuste. N'aurions entendu les prix qu'en fonction du niveau, ceux réservés au défunt National B n'auraient pas représentés la moitié de son équivalent féminin.

Car, stratégiquement parlant, quel intérêt aurait une joueuse raisonnablement classée, jeune, poursuivant ses études ou menant d'autres passions, à travailler davantage, à poursuivre plus avant, puisque quoi qu'il en sera elle disposera de prix féminins dans les tournois, et pourra disputer l'ensemble des joutes féminines avec une chance décente d'emporter un prix convenable (plus que convenable aux Etats-Unis, j'ai bien failli m'étouffer lorsque j'ai appris que ces deux jeunes femmes à moins de 2500 allaient combattre pour 18000 dollars. Vous avez bien lu. 18000 dollars.) Le calcul coût-bénéfice à effectuer est donc bien souvent défavorable à la compétitrice, laquelle se contentera donc d'une progression faible voire nulle, quand ses collègues masculins (Fargère, Edouard, Wirig par exemple) engrangeront une double centaine de points dans les 5 ans suivant. Une compétition plus rude provoque et allèche une volonté plus puissante. Si l'on veut des échecs féminins forts, il faut une concurrence forte. Et quand bien même les femmes feraient l'objet de quolibets durant leurs oppositions aux hommes (ce qui n'est que très rarement le cas, pensé-je), ceux-ci devraient accroître leur force naturelle, le jeu d'échecs récompensant les compétiteurs les plus à même de braver les obstacles parmi nous. Il ne s'agit pas uniquement de talent. Ou de manque de talent, puisque c'est ce qui est sous-entendu. Les femmes ont un rôle à jouer aux échecs. Cessons donc de les favoriser pour mieux les ostraciser. Ou bien nous contentons-nous de la quantité au détriment du talent. Retour à la pensée sur l’iniquité entre les minorités échiquéennes exprimée plus haut.

Un ultime effet pervers est ressenti et très souvent corollaire de la discrimination positive : la fragmentation de l'exercice du jeu, ou minoritarisme (néologisme, quand tu nous tiens !), plus simplement, l'affirmation identitaire d'une minorité par le rejet de l'autre. Ici donc, de nombreuses joueuses d'échecs de bon niveau (2400-2500) évoluent majoritairement contre d'autres femmes, et leur classement, à l'instar de leurs titres, ne sont que "féminins". Comment voulez-vous réclamer le respect, la tolérance et le mérite dans ces conditions ? L'exemple de Kosteniuk me paraît le plus à propos, notamment au travers d'un championnat de Paris qu'elle avait disputée en 2009 me semble-t-il. 

Pour résumer, 3 oppositions fortes me semblent naturelles au système actuel : l'opposition à l'iniquité de traitement, celle à la séparation pleine de sous-entendus nauséabonds renforcée par les mesures sans cesse accrues (l'Accession féminine, sérieusement...), et enfin celle à la primauté du nombre sur le meilleur. Car, encore une fois, si la valeur n'attend point le nombre des années, il ne faut certainement pas priver la prodige de volonté par une aisance trop hâtive. C'est dans la lutte que le joueur d'échecs, et l'humain par extension, se découvre. Que l'humain ne devienne pas homme, rejetant l'une des richesses de l'existence échiquéenne à la femme. Je ne suis pas sexiste, machiste, ou tout autre terme dont certains voudront peut-être m'affubler. Je crois en un talent échiquéen omniprésent, en une capacité égale d'hommes et femmes à truster les plus hautes sphères. Mais jamais cela n'arrivera si de telles préemptions demeurent. Ces aides mesquines se prétendant assistances ne sont que des entraves à leur liberté.





A vos réactions, commentaires, le sujet en vaut la peine, et je n'attends que d'être démenti par des arguments forts et plein de conviction dont, j'en suis certain, vous êtes capables !





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