lundi 14 mai 2012

Penseurs et lutteurs


Après 2 nulles au goût de victoires pour Boris Gelfand, lequel a obtenu tout d'abord une égalité confortable avec sa surprise grunfeldienne avec les noirs avant d'exercer une légère pression sur le champion du monde indien (le temps d'un souffle, cependant, les pièces s'étant échangées prestement), est venue cette 3ème partie fascinante, premier véritable combat de ce match, à l'avantage d'Anand durant le majeur développement de la joute.

A ce propos, puisqu'il m'est venu d'en discourir récemment avec quelques collègues de Nationale 2, j'affirme que Gelfand ne pourra qu'endormir le Tigre de Madras, et jamais le briser, ne serait-ce qu'une seule fois. En effet, à l'exception d'une partie à l'aveugle, l'israélien n'a pas triomphé de l'indien depuis 1996. Comment penser qu'un joueur alors au faîte de sa gloire et n'ayant pu la valoriser puisse renverser le vainqueur de lutteurs autrement plus chevronnés que sont Kramnik et Topalov ? 16 ans, une éternité, et les 2 belligérants se sont rencontrés à bien des reprises durant cette période...

En conséquence, je prédis, vaille que vaille, prédicateur exalté pour bouffon de fête foraine, une victoire nette de 2 voire 3 points pour Anand, dont au moins une victoire avec les noirs. Mes références ? Kramnik, Aronian et Topalov ont tous mordu la poussière par le contre. Assurément, le second aurait été avec Carlsen le véritable défi du quarantenaire au style "champion du monde" : complet, calme, mais apte à se transcender et à prendre des risques lorsque cela s'avère nécessaire. Hors, je doute sincèrement qu'il en soit ainsi dans ce match. Quand bien même l'égalité ne serait pas rompu au crépuscule des 12 parties, l'indien est un formidable joueur de rapide, bien qu'en perte de vitesse, là où Gelfand ne peut plus progresser, et est indubitablement en-dessous.
Cette partie m'a-t-elle donc renforcé dans ces convictions ? Certes oui ! Au sortir de l'ouverture, une position complexe, le sacrifice de pion de Gelfand étant compensé par une certaine activité de ces pièces et un retard de développement de leurs homologues nacrées. Pourtant, la partie avançant, elles purent s'échanger, pour que ne demeurent que 2 paires de tours. C'est à cet instant, entre tout autre, qu'à mon sens Anand s'est fourvoyé. Plutôt qu'inclure le crucial Te7+ avant de rapatrier le roi en b1, il exécuta ce coup en premier lieu, en conséquence Gelfand put s'échapper en g6 et sauver une nulle au terme de laquelle le joueur en premier ne pouvait masquer son dépit.



Par-delà le déroulement de cette unique partie, il convient de percevoir l'attitude des joueurs et la physionomie de leurs avantages : Gelfand, lutteur acharné, a révélé sa relative insuffisance lorsque, les pièces s'échangeant, il dut prendre le jeu à son compte dans les deux premiers défis, là où Anand fit précisément la différence dans ce domaine, bien que non récompensé cette fois. Je crois que ce dernier le sera bientôt, très bientôt, peut-être dès demain, le lutteur, pour m'opposer à Lasker, ne battra pas le penseur. Pas aujourd'hui. Ni jamais, concernant ces deux hommes.



Le jour de repos étant signé dans le championnat des Etats-Unis, il me faut saluer comme l'a fait John Donaldson hier la performance des vétérans que sont Gregory Kaïdanov et Yasser Seirawan. Le premier, dans un style fougueux de jeune candidat-maître ayant tout à prouver, a joué de nombreuses parties fascinantes, bien que défait hier par Hess et son sacrifice de dame pour trois pièces, brillamment pensé et exécuté, bien que le satyre Houdini affirme apercevoir un gain plus aisé, ou plus bref. Le penseur, là encore, a ma préférence.
Seirawan, quant à lui, a calmement, patiemment, fait parler son expérience et sa technique impressionnante pour triompher de l'étoile Robson. Ce dernier doit clairement encore progresser dans ce domaine, car la tactique ne peut suffire à ce niveau lorsqu'il s'agit de défendre de telles positions légèrement inférieures. Gageons que la maturité échiquéenne n'est qu'une extension de son équivalent post-pubère.

Parlons maintenant de Nakamura, déçu de son tournoi, malgré sa place de leader solitaire devant Kamsky, et une absence totale de danger lors de ses parties. L'occasion d'une bonne humeur partagée lors de sa répartie cinglante à la question concernant sa maladie : "Pas de problème, je me drogue !"
Sa nulle solide face à Akobian, tout comme les autres parties, ne méritent pas davantage de commentaires, comme le confessait Ramirez après son nettoyage de la position face à Onischuk.

Chez les femmes, si le spectacle est au rendez-vous, cela est principalement dû à un niveau faible, très faible parfois, incitant à des attaques spéculatives, des concepts stratégiques étranges, lors de combats auparavant parfaitement sains et respectables. Agréable aux yeux, guère aux autres sens.



Un autre grand tournoi fermé tient place à Malmö, le fameux Sigeman and Co. Caruana tient pour l'heure la corde, bien qu'une partie décisive aujourd'hui, et pour l'heure encore en cours, l'oppose au chinois Li Chao B (appelé ainsi pour des besoins administratifs, ah l'homme qui valait 1,4 milliard...). La nulle semble le résultat le plus probable cependant, cela représenterait un excellent résultat pour l'italien avec les noirs.

Ce tournoi est l'occasion de rappeler le style parfois grotesque de ces glorieux vikings. Brillant lors de la première ronde face à Tikkanen, Johnny "kamikaze" Hector eut droit à son lot de bois vert face à Berg, et devrait s'incliner logiquement face à Grandelius ce jour. Il pourra du moins s'esclaffer en apercevant son bourreau précédent ridicule face à son unique victime, ayant sacrifié toutes ses pièces pour se rappeler alors qu'il n'en dispose plus, et que dame et cavalier face à une armée noire au complet ne peuvent faire le poids. Etrange de la part de Berg, fleuron de la nouvelle génération suédoise, notamment auteur d'une victoire superbe face à Maxime Vachier-Lagrave à Gibraltar, et ayant récolté la moitié des points avant cette partie. PDM, dirons les connaisseurs.
Grandelius, lui, va passer aisément à +2, vainquant Berg et Hector, annulant les autres. Il lui restera à affronter Tikkanen et Caruana pour, qui sait, la victoire finale ?

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